Les chemins individuels

Face à une transformation d’une ampleur inédite, les chemins choisis sont singuliers

Les dirigeants des ETI que nous avons rencontrés – et dont vous trouverez le témoignage sous forme de monographie dans le livre blanc – sont à la tête d’entreprises qui ont toutes été confrontées, au cours de leur vie, à de multiples transformations.

Cependant, ils nous ont raconté l’histoire d’une transformation qui apparaît inédite tant par son ampleur, sa profondeur que sur le périmètre qu’elle recouvre dans l’entreprise : business models, innovation et conception des produits, processus internes et externes, gestion des talents, culture… peu de champs n’en subissent pas les impacts et la maîtrise des technologies y apparaît comme un véritable levier de différenciation et de compétitivité.

Au fil de nos conversations avec eux, nous avons pu évoquer le fait déclencheur de leur transformation et les facteurs clés de succès, sans oublier les difficultés traversées et les projections pour l’avenir. Au fil des « voyages » vécus par ces pionniers du digital, on s’aperçoit qu’ils nous ont avant tout raconté des aventures profondément humaines et singulières.

À la lecture des chemins parcourus, se pose alors la question de la spécificité de la transformation digitale des ETI : quels sont les enjeux et les atouts de ces entreprises pour réussir cette mutation ? Sans prétendre y répondre de manière exhaustive, cette synthèse donne quelques pistes à l’heure de se lancer dans cette formidable aventure.

Faits déclencheurs

Pourquoi avoir amorcé une transformation digitale ? Quels sont les déclencheurs qui sont à l’origine de la mise en mouvement ? Est-ce que les dirigeants des ETI se lancent dans cette aventure sous la contrainte ou, a contrario, parce qu’ils ont le sentiment que cela leur permettra de prendre ou de conserver un coup d’avance ?

Les dirigeants d’ETI que nous avons interrogés ont chacun évoqué des raisons très singulières qui les ont amenés à se lancer dans ce chantier d’ampleur qu’est la transformation digitale de leur entreprise.

Au-delà des facteurs exogènes, imposés par leurs marchés et leurs environnements (nouvelles technologies, menace de nouveaux entrants pure players, révolution des usages…), sur lesquels ils s’interrogent depuis des années, c’est bien souvent un élément déclencheur très personnel qui a provoqué le déclic : une learning expedition chez MANUTAN et KERIA, une formation au digital chez DECAYEUX, l’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante chez HEPPNER ou chez KAPORAL, la rencontre avec d’autres dirigeants chez THOM EUROPE…

Si les déclencheurs sont très diversifiés, de nombreux dirigeants ont évoqué un « avant » et un « après ».

Dans les ETI, ce sont la plupart du temps les convictions personnelles, voire viscérales, du dirigeant qui jouent un rôle central. Sa conviction intime est, en quelque sorte, la pierre angulaire sur laquelle la transformation digitale prend son essor.

Opportunités et réussites

Quels sont les cas d’application que les pionniers de l’aventure digitale ont choisis ? Dans quel ordre les choses ont-elles été faites ? Pourquoi ? Pour quels résultats et quelles réussites ?

Si le champ de la transformation digitale est quasiment sans limite et que les réussites prennent des formes diverses et touchent tous les fondamentaux de l’entreprise, certaines dimensions ressortent comme des catalyseurs ou des cas d’application de premier rang.

Sans surprise, et en particulier dans les entreprises de service et de distribution, la réinvention de l’expérience client a été la clé de voûte du plan d’actions.

Proposer une expérience sans « couture », des services complémentaires et innovants pour répondre plus efficacement aux besoins de ses clients et les fidéliser est vu, par la quasi-totalité des ETI que nous avons rencontrées, comme le premier enjeu à traiter. Par exemple la création d’un site e-commerce chez THOM EUROPE, le Click & Collect chez NATURE & DÉCOUVERTES, le paiement en cabine chez ETAM, le CRM chez PIERRE ET VACANCES-CENTER PARCS.

Pour d’autres, la digitalisation du coeur de l’offre a été le moteur de la transformation. Elle touche le produit en lui-même et constitue une véritable remise en cause du business model.

Pour conserver son avantage compétitif ou pour faire face à de nouveaux entrants – y compris dans des secteurs ou la disruption est parfois peu attendue –, des révolutions ont été menées, comme la création de la boîte aux lettres connectée Mycolisbox par DECAYEUX ou la création d’une business unit destinée à développer des jeux de société en ligne chez ASMODEE. De manière moins brutale et dans la perspective de se donner un nouvel avantage compétitif sur le marché, d’autres ont réussi à créer de nouvelles barrières à l’entrée en intégrant la donnée comme un prolongement augmenté de leur offre de base. Par exemple, LIM GROUP a capitalisé sur l’innovation en développant la toute première selle connectée du marché et KERIA a mis au point une offre d’ampoules connectées.

L'optimisation du modèle opérationnel via le digital reste un axe d’investigation pour la majorité des répondants et est plutôt préemptée à date par des ETI à caractère industriel.

Via l’utilisation de la data qui présente des champs d’applications multiples, avec à la clé des gains d’efficacité et de réduction des coûts importants (digitalisation de la supply chain, de l’outil industriel ou de la force de vente terrain…), quelques ETI ont notamment fait évoluer avec succès des pans significatifs de leur modèle opérationnel : LACROIX a mis en place un Lab en charge de digitaliser les processus métiers, SEPTODONT a automatisé les contrôles qualité des cartouches anesthésiques.

Enfin, le digital constitue un puissant vecteur de modernisation pour l’image des ETI.

Les réalisations digitales sur chacun des domaines cités précédemment valorisent l’image de marque des ETI qui en sont à l’origine. Certaines d’entre elles ont utilisé le digital comme locomotive pour rénover leur image auprès de leurs clients et de leurs collaborateurs. Par exemple, ERAM a ainsi pu replacer l’innovation au coeur de l’identité de la marque ; pour GAUTIER, le digital a été un formidable vecteur de modernité dans un secteur perçu comme vieillissant.

Facteurs clés de succès

Quelles clés de succès partager avec les dirigeants qui s’interrogent et souhaitent lancer leur entreprise dans l’aventure ? Les ETI ont-elles des enjeux propres et singuliers ? Peuvent-elles miser sur des atouts spécifiques ?

Comme un écho aux faits générateurs, les dirigeants rencontrés ont tous, sans exception, exprimé une première clé de succès : le facteur humain et l’attention particulière à accorder aux moyens et modes de travail sont des éléments souvent mis en avant.

Si tous soulignent leur implication personnelle dans la transformation digitale, les retours d’expérience sur les modes d’organisation sont spécifiques et les recettes adoptées prennent des formes diverses. HEPPNER a fait confiance à son modèle décentralisé historique, en impliquant très en amont les directeurs de région et d’agence dans le déploiement des nouveaux modes de fonctionnement, tandis que la transformation digitale d’ETAM a conduit à « l’horizontalisation » de l’organisation pour gagner en agilité et répondre à la vitesse du numérique.

La propagation d’un état d’esprit digital dans toute l’entreprise est remontée comme un point crucial. Cet état d’esprit se traduit à la fois par le fait que chaque collaborateur appréhende mieux les enjeux, les ingrédients et les impacts des nouvelles approches/solutions mais aussi par le déploiement d’éléments culturels autour de l’agilité, la coopération, le droit à l’erreur, l’esprit start-up, la remise en question… dont la prise de décision du dirigeant constitue le premier symbole.

Enfin, le couple directeur général/directeur des systèmes d’information a également une responsabilité clé dans la réussite. La question de la remise en cause de leurs terrains de jeu a souvent été évoquée par les dirigeants d’ETI et elle est considérée comme majeure pour conduire avec discernement une transformation digitale au bénéfice de toute l’entreprise. Chez FITNESS BOUTIQUE, le directeur général, amateur de nouvelles technologies, s’est appuyé sur un directeur des systèmes d’information doté d’un fort sens business.

Plus globalement, certains évoquent le principe de prendre chaque problématique sous l’oeil du digital. L’INSEEC U. a par exemple adopté une approche extensive de la digitalisation en recherchant à en faire bénéficier chacune de ses parties prenantes, des prospects aux alumni, en passant par les étudiants et le corps professoral.

Une seconde clé de succès particulièrement partagée est celle de l’articulation d’un bon timing – pour faire advenir cette transformation au bon moment – et d’une prise de risque relative – sans laquelle on ne progresse pas à la bonne vitesse ni avec la bonne intensité.

Il convient bien sûr de trouver le timing adéquat pour investir au bon moment, en fonction à la fois de la maturité du marché et de l’équation coût / bénéfice des technologies, dont les prix peuvent significativement baisser en l’espace de quelques mois, comme l’a souligné FITNESS BOUTIQUE.

Par ailleurs, des actionnaires engagés et des personnalités fortes capables de fédérer toute l’entreprise autour d’une vision commune, de l’embarquer dans la transformation digitale au bon moment, de prendre des risques et des décisions capitales sont des cartes que les ETI « championnes du digital » ont joué à plein.

Il a été souvent mentionné au cours de nos entretiens qu’il appartient au chef d’entreprise de prendre, le cas échéant, des décisions fortes afin d’assurer le succès de la transformation. Il n’est ainsi pas rare d’assister à des remaniements des équipes dirigeantes afin qu’elles soient à la hauteur de ces nouveaux enjeux, comme ce fut par exemple le cas chez DECAYEUX.

Une dernière clé de succès majeure sur laquelle les ETI ont un atout indéniable, car elles sont généralement très bien intégrées dans leurs environnements locaux, est d’attacher une attention particulière à la coopération entre les parties prenantes de leur écosystème dans un esprit d’ouverture.

C’est une bonne nouvelle car la transformation digitale dépasse les frontières de l’entreprise pour impacter tout son environnement. Il est donc absolument primordial pour les ETI d’être en capacité de travailler avec leur écosystème pour innover, développer de nouveaux produits, faire face à des défis environnementaux… Ce travail en réseau peut s’avérer complexe car il demande un changement profond des pratiques habituelles pour aller vers beaucoup plus de coopération et de transparence. C’est le pari qu’ont notamment fait ELCIMAÏ ou KAPORAL, en capitalisant sur leur écosystème régional de start-up et d’universités.

Si la transformation digitale porte en elle de nombreuses révolutions, elle ne requiert pas pour autant de faire table rase de l’existant. Au contraire, il apparaît primordial pour l’entreprise de s’appuyer sur ses forces historiques et sur ses avantages compétitifs et de les faire résonner dans des environnements augmentés.

Points durs et difficultés à anticiper

Quelles difficultés le chef d’entreprise doit-il s’attendre à trouver sur sa route ? Quels sont les écueils à éviter pour garder le cap tout au long du « voyage digital » ?

Une première difficulté mise en avant est l’arbitrage constant à faire entre des investissements dans le digital et le maintien en fonctionnement de l’activité courante tout au long de la transformation.

Une difficulté accrue par un retour sur investissement souvent difficile à mesurer et à percevoir à court terme, pouvant générer du scepticisme au sein des équipes. Le rôle du dirigeant et de son comité de direction est alors plus que jamais critique pour rappeler la vision et maintenir le cap. GAUTIER a par exemple mis en place un processus d’arbitrage structuré d’allocation de ressources entre digital, outil industriel et magasins.

Deuxième écueil : les ETI ne constituent pas toujours le premier choix de la génération Y, attirée tantôt par la marque et la sécurité d’un grand groupe, tantôt par le dynamisme des start-up.

C’est un fait : la guerre des talents n’épargne pas les ETI, c’est pourquoi certaines d’entre elles ont fait le choix d’ouvrir des antennes délocalisées dans une ou plusieurs grandes villes pour héberger des équipes focalisées sur le digital et attirer plus facilement les talents. AT INTERNET a particulièrement investi dans le recrutement, l’accompagnement et la rétention de nouveaux talents. Dans une logique similaire, SOCOMORE a développé des dispositifs d’attractivité pour conquérir et fidéliser les talents dans le Morbihan (bureaux digitaux, télétravail, échange multisites…).

Et après ?

La transformation digitale bien enclenchée, quelle suite donner à l’aventure ? Comment capitaliser sur les premières étapes pour continuer le voyage ? Quel arbitrage entre la consolidation des fondamentaux et la poursuite d’un rythme soutenu de mise en oeuvre de nouveaux projets ?

Comme la transformation digitale de l’entreprise a secoué ses fondamentaux, il faut d’abord constamment veiller à en rappeler le sens et l’objectif et à en illustrer les bénéfices pour tous.

Il est de la responsabilité du dirigeant d’anticiper les prochaines étapes en cultivant une vision de long terme de l’avenir digital de son entreprise. Un risque majeur, comme dans toute transformation, est de vouloir tout traiter en même temps sans réaliser un exercice de priorisation suffisant. Pour s’en prémunir, les dirigeants interrogés estiment qu’il est particulièrement important de consolider régulièrement les changements advenus pour les rendre robustes et lisibles en interne et en externe.

L’objectif devient alors d’entretenir un mouvement permanent dans le but de faire vivre une proposition de valeur toujours plus pertinente pour ses clients adossé à un modèle opérationnel tirant les pleins potentiels des technologies.